En 2005, le controversé Ray Kurzweil publiait un livre qui allait poser les bases de pratiquement tout le débat mondial sur les nouvelles technologies jusqu’à aujourd’hui, notamment en matière d’intelligence artificielle: The Singularity is near. Ce qu’il appelle « singularité » est ce moment à venir où le progrès technologique exponentiel deviendra si rapide que nos esprits d’aujourd’hui sont incapables d’en penser toutes les conséquences.
Aujourd’hui, une forme de singularité se rapproche aussi en matière monétaire. Le bitcoin et les cryptomonnaies s’apprêtent à nous faire changer de monde, avec des conséquences particulièrement difficiles à imaginer.
Une prise de conscience est urgente.
Face au web dans les années 1990, la France a connu une forme de “ marginalisation paradoxale ” : alors qu’elle avait tous les atouts pour devenir un leader de cette révolution économique et culturelle, elle s’est laissée distancer, évincer de la compétition mondiale. Elle et l’Europe ont ensuite reproduit le même schéma avec l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, notre pays risque de subir le même sort avec le bitcoin et les technologies qui en découlent.
Les cryptomonnaies vont devenir plus faciles à utiliser, leur nombre va probablement se multiplier dans des proportions aujourd’hui inimaginables, et elles seront de plus en plus difficiles à contrôler par les États. Avec toutes les technologies issues de Bitcoin, la monnaie devient programmable, ce qui ouvre une nouvelle ère de décentralisation des institutions et d’autonomie pour les individus. Il ne s’agit pas d’un phénomène seulement économique mais aussi sociétal, culturel, presque civilisationnel.
Face à cette révolution, les régulateurs devraient adopter une attitude raisonnable. Il convient de maintenir aussi faible que possible le poids de la fiscalité et des obligations réglementaires pesant sur les entrepreneurs, les investisseurs, les créateurs et les consommateurs. Il est aussi important de faciliter l’activité des entreprises en clarifiant le traitement juridique et comptable de ces nouvelles activités et de ces nouveaux instruments.
La compétition mondiale est engagée. Le capital et les talents sont largement mobiles. Impossible, à ce stade, de savoir combien d’emplois seront détruits et créés par cette révolution. Le dilemme qui s’offre à nous est identique à celui rencontré lors de chaque “ grappe d’innovations ” au sens de Schumpeter : d’un côté, nous focaliser sur les risques supposés de la technologie en refusant obstinément d’en reconnaître les côtés prometteurs et laisser les pouvoirs publics céder à la “ capture du régulateur ” qui rend rentable pour les intérêts en place d’obtenir des “ régulations ” limitant l’émergence de nouveaux concurrents ; ou, de l’autre, faire confiance aux mécanismes qui ont, depuis quelques siècles, permis la plus grande création de richesse et de prospérité au service de l’humanité : recherche scientifique, innovation technologique, liberté d’entreprendre et d’expérimenter, respect de la propriété privée, accumulation du capital, libre échange, concurrence.